Pourquoi je suis candidat au Sénat Académique

Wolfgang Bertram, tête de liste collège A au Sénat s'exprime à destination de tous les personnels.

Wolfgang Bertram est candidat, sur la liste ESPOIR, pour le sénat acadamique, et il souhaite prendre cette occasion pour partager quelques réflexions sur le sens et sur la pratique de notre métier.


Pourquoi je suis candidat au Sénat Académique


Chères et chers collègues,

je suis candidat, sur la liste Espoir,  pour le sénat acadamique, et j’aimerais prendre cette occasion pour partager avec vous quelques réflexions sur le sens et sur la pratique de notre métier.

Travail de qualité, versus excellence. 

Même si mes propos seront très critiques, je dirais tout de même que notre métier est l'un des plus beaux au monde, et que l'université est une institution qui a un sens. Ce sens n'est jamais acquis - la recherche, et l'enseignement, sont des activités difficiles, fragiles, souvent décourageantes ; le doute permanent en fait partie. La récompense peut être une découverte, des nouvelles connaissances, ou des étudiants qui progressent ; ce ne peut pas être une 'excellence' certifiée par les supérieurs hiérarchiques. Notre but, à la fois modeste et ambitieux, est de faire un travail de qualité - de la meilleure qualité possible dans les circonstances données. En revanche, nous ne pouvons pas tout.es être 'excellents' - ce terme vient du latin 'excellent' ('qui surpasse en hauteur'), et si on cherche tout.es à surpasser les autres en hauteur, on ressemblera à ces villes moyenâgeuses italiennes avec ses tours grotesques les unes plus excellentes que les autres : au mieux, comme San Gimignano on deviendra une attraction pour les touristes curieux, au pire, comme à Florence ou Bologne, nos tour-ex vont s'écrouler et il n'en restera presque rien. L'excellence peut exister dans la nature (par exemple, pour rester en Lorraine, Henri Poincaré excellait ses contemporains), mais elle ne se décrète pas - si on décide par décret qu'une certaine partie des collègues est 'excellente', et l'autre ne l’est pas (c'est bien le principe de base de fonctionnement des IDEX et ISITEs), il s'agit d'une imposture qui est contraire aux principes qui font avancer la science, et que nous devons refuser.

Fusion versus division.

Voici un paradoxe de notre situation : les universités en France vivent deux mouvements inverses en même temps, les fusions et les divisions. Les fusions, nous en sommes spécialistes en Lorraine, et c'est la fierté de nos gouvernants ; les divisions, on n'en parle pas, on les vit.

J'ai commencé à travailler, en 1999, à université Henri Poincaré-Nancy I. Au début des années 2000, on parlait du projet ambitieux de 'Nancy-université' : la fusion de Nancy I, Nancy II et de l'INPL. En 2009, on nous a promis un avenir encore plus radieux : la fusion avec Metz. En 2012, cela fut acté, et un bel enfant, baptisé 'Université de Lorraine' vit le jour. Un peu plus tard, la Lorraine à son tour fusionna dans un 'Grand Est' - pour designer sa position relative à Paris, une sorte de terrain vague qui s'ouvre vers les steppes d'Asie, la Sibérie française. 'Big is beautiful', voilà la devise de la politique française en ce début de XXI siècle.

En même temps, vous connaissez la coupure de l'université en deux sous-univers : celui de la recherche, prestigieux et mis en avant dans nos CV, et celui de l'enseignement, pauvre et qui n'apporte ni gloire ni prestige. Notre université, de par sa taille excessive, à encore amplifié cette division courante en France par la création des strates dites 'pôles' et 'collegiums', comme si on divisait un être vivant en deux, en donnant les oreilles à une partie et les yeux à l'autre. Dans la plupart des pays, quand on parle, par exemple, de 'maths department', ou 'maths institute', on comprend une structure qui combine en son sein recherche et enseignement supérieur : mais pas en France. Il y a 'labo' et 'département'. J'étais directeur d'un département (et pas d'un petit) pendant 4 ans : pendant toute cette période, je n'ai jamais vu le président de notre université en direct, il ne m'a jamais adressé la parole, il ne s'est jamais intéressé à ce que nous faisions. Le  président de l'UL n'a pas besoin de descendre voir le peuple, il évolue dans un univers parallèle : Big is so Beautiful.

Démocratie. 

La démocratie, c’est comme l'air qu'on respire : pendant qu'elle est là, on n'y pense pas, mais en son absence on étouffe. Nous l'avions oublié ; en ce printemps, l'actualité nous le rappelle brutalement. En France, l'université est (heureusement) encore un endroit où nous avons la liberté de parole et de pensée ; mais la qualité de l'air n'est pas toujours très bonne. A mon avis, le défaut de naissance de l'UL est qu'il n'y a jamais eu de consultation, ou de vote, auprès de ses membres si, oui ou non, nous souhaitons nous engager dans cette voie. Je faisais partie des initiateurs de cette pétition http://petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=UDLEX011 - et je pense que la question de la légitimité de la fusion reste toujours d'actualité. Il ne s'agit pas de 'défaire' la fusion de manière autoritaire. Mais si un jour les conditions politiques changeaient et permettaient une consultation libre, générale et démocratique, un divorce de velours serait à mon avis largement préférable au prolongement d'un mariage dans lequel les partenaires souffrent et s'usent (derrière une image de couple heureux affichée vers l'extérieur). En attendant, je serais pour donner un maximum de liberté et d'autonomie aux sites de Nancy et de Metz respectivement : vu que les deux villes sont de taille égale, il n'est pas concevable que Metz se sente comme un satellite  de Nancy, comme c'est le cas actuellement.

A quoi sert le Sénat académique ?

Bonne question... je pense que tout le monde est plus ou moins d'accord pour dire que, sous la gouvernance de P. Mutzenhardt, le Sénat n’a servi à rien ; il a fait partie des multiples strates complètement illisibles de l'architecture baroque de notre Grand Etablissement, peut-être décoratif mais dépourvu de réelle fonction. Je crois aussi avoir compris que tout.es les candidat.es à la présidentielle s'accordent pour dire que cela devait changer - ou, à défaut, qu'il faudrait supprimer cette strate.

Le sénat reste, avec le CA, la seule instance qui dépasse le clivage entre 'recherche' et 'enseignement' ; il pourrait, et devrait, donc jouer le rôle d'un 'parlement', lieu central d'une démocratie et contre-pouvoir de l'exécutif, lieu où l'on parle, ouvertement, et sans langue de bois. Or, d'après mon expérience, cette langue de bois s'installe dans les conseils dès qu'on accepte de respecter les tabous, comme :

  • la fusion des universités est sacro-sainte ; on a le droit de 'râler un peu' (ça soulage), mais pas de critiquer son principe ;
  • la division de nos métiers entre 'recherche' et 'enseignement' est une donnée nationale qu'on doit accepter et respecter (faute grave, interdite : parler d'enseignement au pôle, parler de recherche au collegium) ;
  • la démocratie universitaire ne doit pas être un obstacle pour développer une 'gouvernance claire et forte' : pas question de soumettre au vote direct du peuple des questions et des décisions importantes ;
  • notre ISITE LUE nous apporte (un peu) d'argent, donc on n'a pas le droit de critiquer son principe fondateur, qui est de diviser les universités entre elles, et les membres d'une université entre eux ;
  • la hausse des frais d'inscription pour les étudiants étrangers relève de la politique nationale, ce n’est pas de notre responsabilité ; et si le futur président de la république décide une hausse des frais pour tous les étudiants, ce ne sera pas de notre responsabilité non plus ;
  • le sous-financement des universités est une politique portée par tous les parties politiques 'de gouvernance', cela ne sert à rien de la critiquer, il faut être réaliste et aller dans le sens des politiques, au risque sinon d’avoir encore moins, voire même d’être mis sous tutelle du rectorat,

et bien d'autres. A mon avis, un vrai débat sur le pourquoi et le comment de notre métier n'est possible que lorsqu’on refuse de se soumettre à de tels tabous : c'est le cas du programme de la liste Espoir. Quant aux autres listes et candidats, voyez vous-même ce qu'il en est, et prenez votre décision de vote en conséquence (et, condition nécessaire, n’oubliez pas de voter !).

Cette campagne est l'une des rares occasions de soulever et de discuter de telles questions de fond - profitons-en ; moi, et les autres candidat.es de la liste, sont à votre disposition. Merci d'avoir lu jusqu'au bout, bien à vous

Wolfgang Bertram,

Vandoeuvre, mars 2022.

http://espoir-ul.fr/pourquoi-je-suis-candidat-au-senat-academique/