Réponse à l’interpellation du Cha-U
Nancy-Metz le 2 avril 2022,
Nous remercions les membres du Cha-U pour leur interpellation sur la question du harcèlement morale et des violences sexistes et sexuelles (VSS). Nous reprenons vos questions sur fond vert, en apportant nos éléments de réponse à la suite.
Le Collectif de lutte contre le harcèlement à l’Université (https://cha-u.fr/) procède d’une initiative de personnels et étudiant·es de l’Université de Lorraine qui, après le suicide en août 2020 d’une doctorante contractuelle, ont décidé d’unir leurs forces pour mettre en place les conditions d’une prise de conscience collective.
Le Cha-U, transversal et indépendant, compte à ce jour 100 membres ; il s'est donné trois missions principales : 1° l'information, la veille et la communication ; 2° l'écoute, l'orientation et le partage d'expériences ; 3° l'analyse des conditions de production des faits et situations de harcèlement et de violences sexuelles et sexistes (VSS) dans l'Enseignement Supérieur et la Recherche.
Vous conduisez des listes de candidat.es au renouvellement des conseils centraux de l’université de Lorraine. Nous avons pris connaissance de tous les programmes – tels que rendus publics dans notre communauté universitaire, à ce jour. Deux d’entre eux posent explicitement la question du harcèlement et/ou des VSS, les trois autres les évoquent à peine ou dans des termes englobants et généraux (« violence », « discrimination », « souffrance » ou « mal-être »). Nous souhaitons vous soumettre ici quelques questions élaborées dans le cadre de notre Atelier de recherche (https://cha-u.fr/presentation-de-latelier).
Nous nous engageons à publier vos réponses écrites sur notre site, telles quelles et dans les meilleurs délais, et vous remercions à l’avance de votre contribution.
Question 1
Des conduites sexistes, des comportements sexuels délictueux, des situations de harcèlement moral et/ou physique se produisent au quotidien dans le milieu universitaire.
Estimez-vous que ces violences résultent d'attitudes déviantes personnelles et occasionnelles ou bien qu'elles sont structurelles (cumul des pouvoirs, héritage culturel collectif) ? Dans l’un et/ou l’autre cas, quelles seraient vos actions prioritaires pour lutter, dans le cadre de votre mandat électif, contre ces formes de déshumanisation des rapports sociaux à l’Université ?
Comme nous l'avons écrit dans notre programme, le harcèlement moral et les violences sexistes et sexuelles sont selon nous systémiques. Elles existent dans la société, résultent de rapports de domination qui se prolongent dans l'université, notre communauté et notre établissement n'en étant absolument pas protégés. L'université, en tant qu'institution de grande taille, produit des logiques de domination et des formes de VSS spécifiques qu'il convient par ailleurs d'analyser pour elles-mêmes.
La première étape est de poser cet état de fait pour rendre visibles ces violences et contribuer à une prise de conscience de tout·es les personnels et étudiant·es de l'université de Lorraine. Sortir du silence, c'est contribuer à inverser les rapports de force entre agresseurs et victimes, c'est faire que la parole des victimes soit prise en compte et que la légitimité change de camp.
Dans le cadre de la lutte contre le harcèlement en général et contre les VSS en particulier, il faut certainement distinguer plusieurs niveaux : l'information, la formation, la protection des victimes et la sanction des harceleurs et harceleuses.
Poser que le harcèlement et les VSS sont systémiques, c'est éviter de ne traiter la question que du point de vue de la victime. Cela reviendrait en effet à dire qu'on agit en créant des dispositifs d'alerte et en reportant toute “l'efficacité” du dispositif sur la victime elle-même. Affirmer la dimension systémique de ces violences dans le cadre des relations au travail, c'est poser que la responsabilité d'une présidence n'est pas seulement d’accompagner judiciairement en facilitant le dépôt de plaintes et la réparation des violences subies, mais plus fondamentalement de reconnaître qu'elle en est partie prenante en tant qu'organisation, et ce afin de mieux les prévenir. Il convient donc certes d'informer et de former les personnels et les étudiant·es sur ce que sont le harcèlement et les VSS afin que chacune et chacun puissent mieux en parler et les déceler pour soi ou dans son entourage. Il convient aussi de permettre aux victimes ou à leur entourage d'alerter de façon la plus facile possible des situations anormales qui les touchent ou qu'ils ou elles observent. A ce titre, il serait utile que dans chaque site ou composantes, des personnes soient formées et identifiées comme relais 'harcèlement / VSS' de la même façon qu'il existe des personnels formés et identifiés pour assurer les premiers secours. Ces acteurs doivent être explicitement identifiés et leurs contacts partagés.
Cette protection des victimes ne peut être efficace que si leur état de victime est pleinement reconnu par l'établissement, non seulement du point de vue professionnel, mais aussi du point de vue personnel. Apporter la protection fonctionnelle est une étape importante. Cela passe aussi par tout ce qui relève bien entendu de la sanction des personnes violentes, quelle que soit leur position dans l'établissement, mais cela doit surtout passer par une interrogation sur le fonctionnement même de l'établissement, pour mieux comprendre ce qui autorise, voire génère ces comportements harceleurs ou violent.
Question 2
Estimez-vous possible et souhaitable de conduire dans notre université une politique de la recherche qui inscrirait à son agenda un développement significatif des travaux sur le harcèlement et les VSS à l’Université et leur valorisation ? Sur lesquelles de ces propositions (non exhaustives) seriez-vous prêt.es à vous engager pour la mandature à venir : diplômes ou parcours dédiés, contrats doctoraux fléchés, chaires spécifiques, séminaires pluridisciplinaires, colloques internationaux, attribution de doctorats honoris causa à des chercheur.ses travaillant sur ces questions ?
A priori, nous n'écartons aucune de ces propositions, les travaux de recherche sur les problématiques de VSS devraient être soutenues. Néamoins, nous n'envisageons pas une gestion de l'université où la seule équipe présidentielle impulserait des initiatives sur la question des VSS comme sur les autres. La collégialité que nous voulons restaurer se traduira par la sollicitation du plus grand nombre de collègues concerné·es pour réfléchir en commun à ces projets, et rendre possible des recherches sur les VSS dans des conditions indépendantes. De manière générale, notre université recelle des expert·es qui doivent éclairer les débats complexes, y compris sur la situation en son sein. Nous soutiendrons ces dynamiques identifiées en appuyant les moyens de leur fédération, comme sur d’autres thématiques.
Question 3
Dans les programmes présentés, les mesures envisagées pour lutter contre le harcèlement relèvent dans leur grande majorité d’un accompagnement individuel a posteriori, ethico-judiciaire et victimaire. Quelle(s) politique(s) pourraient être mises en place pour encourager les membres de notre communauté universitaire (étudiant.es et personnels) à devenir des acteurs et actrices proactif.ves responsables, conscient.es des logiques de domination ?
Question 4
Certaines formulations de votre programme mériteraient, de notre point de vue, plus ample développement ou explicitation.
Vous faites mention dans votre programme électoral de la volonté d’« apporter une réponse institutionnelle à la question du harcèlement moral, sexiste et sexuel systémique qui concerne tous les personnels et les usager·es ». Pourriez-vous nous donner quelques exemples des dispositifs institutionnels envisagés ?
Nous nous permettons de répondre de manière conjointe aux questions 3 et 4.
Pour nous, le principe fondamental est de mettre en œuvre des actions et des dispositifs pour que les personnels et les étudian.tes soit acteur·rices de la réflexion et de l'action sur le traitement du harcèlement et des VSS.
Il paraît primordial de commencer par faire le point sur les acteurs mobilisés dans les instances et groupes de travail mis en place (CHSCT, QVT, RPS, EDI, GT doctorants, etc.), identifier les liens entre eux, et identifier les types de personnels non représentés. Ce travail doit se poursuivre par l’étude de leurs conclusions et en faire le suivi, par exemple en identifiant les propositions écartées et celles retenues.
Au-delà de l'étape d'un état des lieux des VSS dans le monde universitaire, la visibilisation de leur existence et l'explicitation des conditions systémiques de leur production et maintien, sous forme de formations de sensibilisation et de prévention proposées aux membres de la communauté universitaire (directeur.ice de mémoires, de thèse, etc.) devraient constituer une seconde étape. Il ne faut cependant pas laisser penser qu'elles seraient l'unique levier d'action. Leur fonction doit être celle de poser un constat, de partager et accélérer une prise de conscience. Par ailleurs, ces formations doivent être réalisées par des personnes détentrices de véritables connaissances et compétences sur la problématique (des collectifs, des associations dédiées, des syndicats), et non pas par des entreprises de conseils productrices de formations standardisées et désincarnées. En outre, des conférences grand public pourraient être organisées régulièrement, sur des horaires balisés.
S'il y a très peu de saisines des dispositifs mis en place par la direction de l’UL (cellule harcèlement, psychologue du travail, numéro d'urgence...), c'est bien parce que c'est l'employeur qui les a mis en place. En laissant d’ailleurs systématiquement de côté les seuls espaces où la parole peut s'exercer. Comment saisir l'administration, la direction d'un établissement, quand c'est précisément l'administration, l'employeur, qui organise le système, qui fait perdurer les pratiques, qui enquête, juge et (peut-être) punit ?
Le président de l'université est responsable, au pénal, de la santé et de la sécurité des personnels et des étudiant·es. Il est d'autant plus responsable quand on peut prouver la 'faute inexcusable' (c'est-à-dire, il savait, ou son administration savait, et il n'a pas agi). Alors, l'objectif de ses services n'est peut-être pas de permettre que tout soit dit et jugé. Il faut relancer des espaces de discussion. Les syndicats en représentent un, aussi, que nous assumons. C'est encore une des voies par laquelle passent beaucoup de témoignages.
De manière plus institutionnelle, il convient de dessiner une méthodologie pour la gestion des situations actuelles prolongeant l’ouverture d’enquêtes administratives et disciplinaires telles qu’elle sont faites aujourd’hui. Nous souhaitons dépasser ce mode de fonctionnement où la victime est systématiquement écartée de son poste. Nous augmenterons le nombre de personnels intervenant sur les situations de conflits. Par ailleurs, les instances représentatives en charge des conditions de travail doivent pouvoir suivre de manière transverse l'ensemble des situations. Enfin, il est primordial que, dans le respect des individus, les processus de traitement ainsi que les décisions prises soient connus de la communauté.
Par ailleurs, le traitement de ces situations devrait souvent imposer l’intervention d’acteurs extérieurs à l’établissement. C’est d’une réforme systémique et nationale dont nous avons besoin. Nous continuerons à participer au travail national de nos organisations syndicales qui pourraient porter auprès du MESRI, et en collaboration avec les élu.es au CNESER disciplinaire, des propositions simples et très concrètes : permettre que la section disciplinaire de l'établissement puisse être saisie par d’autres acteurs que le président de l’université (par exemple les CHSCTs, les VP étudiant·es) ; faire porter les enquêtes administratives par des fonctionnaires extérieurs à l'établissement ; externaliser une partie de la cellule harcèlement.
Nous proposerons de mener une réflexion sur les modalités d'externalisation des sections disciplinaires lorsqu'une enquête est menée pour des faits supposés de harcèlement moral et VSS. Enfin, une meilleure communication des jugements devrait être envisagée, au sein des différentes instances et composantes universitaires.
Il convient aussi de ne pas instrumentaliser le traitement du harcèlement et des VSS. Les deux parties doivent pouvoir se faire entendre, à la recherche d'une compréhension aussi objectivable que possible. Nous sommes attachés à la présomption de sincérité, autant qu'à la présomption d’innocence.
Enfin, nous saisirons officiellement le CHSCT du problème dès l’automne 2022 afin qu’il puisse s’emparer de ce sujet. Le CHSCT compte des représentant·es étudiant·es qui seront associés à ce travail. Ces différentes propositions relevant du fonctionnement de l’établissement et de la visibilité de ce dernier à l’extérieur permettraient de sortir du silence et de donner confiance dans le traitement proposé.
Nous profitons de l’occasion qui nous est donnée pour saluer le travail que le Cha-U porte, sur une question de première importance et d’une grande complexité. Nous vous solliciterons afin de savoir si vous souhaitez partager un diagnostic en votre possession et quelles sont les mesures que vous préconisez. Nous vous proposons de faire le point avec votre collectif régulièrement pendant notre mandature.
Le collectif ESPOIR